Qu’est-ce que le romantisme ? D’après Charles Baudelaire

Peu de gens aujourd’hui voudront donner à ce mot un sens réel et positif ; oseront-ils cependant affirmer qu’une génération consent à livrer une bataille de plusieurs années pour un drapeau qui n’est pas un symbole ?

Qu’on se rappelle les troubles de ces derniers temps, et l’on verra que  s’il est resté, peu de romantiques, c’est que peu d’entre eux ont trouvé le romantisme, mais tous l’ont cherché sincèrement et loyalement.

Quelques-uns se sont appliqués au choix des sujets, ils n’avaient pas le tempérament de leurs sujets. D’autres croyant encore à une société catholique, ont cherché à refléter le catholicisme dans leurs œuvres ; S’appeler romantique et regarder systématiquement le passé, c’est se contredire. Ceux-ci  au nom du romantisme, ont blasphémé les Grecs et le Romains : or on ne peut  faire des Romains et des Grecs romantiques, quand on l’est soi-même. La vérité dans l’art et la couleur locale en ont égaré beaucoup d’autres. Le réalisme avait existé longtemps avant cette bataille, et d’ailleurs composer une tragédie ou un tableau pour M. Raoul Rochette, c’est s’exposer à recevoir un démenti du premier venu, s’il est plus savant que M. Raoul Rochette.

Le romantisme, c’est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir.

Et ils l’ont cherché en dehors, et c’est en dedans qu’il était seulement possible de le trouver.

Pour moi, le romantisme est l’expression la plus récente, la plus actuelle du beau.

Il y a autant de beautés qu’il y a de façon de trouver le bonheur,

la philosophie du progrès explique ceci clairement ; ainsi  comme il y a eu autant d’idéal qu’il y a eu pour les peuples de façons de comprendre la morale, l’amour, la religion, etc…le romantisme ne consistera pas dans une exécution parfaite, mais dans une conception analogue à la morale du siècle. C’est parce que quelques-uns l’ont placé dans la perfection du métier que nous avons eu le rococo du romantisme, le plus insupportable de tous sans contredit.

Il faut donc, avant tout connaitre les aspects de la nature, et les situations de l’homme, que les artistes du passé ont dédaignés ou n’ont pas connus.

Qui dit romantisme, dit art moderne, c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini, exprimés par tous les moyens que mentionnent les arts.

Il suit de là qu’il y a une contradiction évidente entre le romantisme et les œuvres des principaux sectaires.

Que la couleur joue un rôle dans le romantisme, quoi de plus évident ? Le romantisme est fils du Nord, et le Nord est coloriste ; les rêves et les féeries sont enfants de la brume. L’Angleterre, cette patrie des coloristes exagérés, la Flandre, la moitié de la France sont plongés dans les brouillards. Venise elle-même, trempe dans les lagunes. Quant aux peintres espagnols, ils sont plutôt contrastés que coloristes.

En revanche le Midi est naturaliste, car la nature y est si belle et si claire, que l’homme n’ayant rien à désirer, ne trouve rien de plus beau à inventer que ce qu’il voit : ici l’art en plein air, et quelques centaines de lieus plus haut, les rêves profonds de l’atelier et les regards de la fantaisie noyés dans les horizons gris.

Le Midi est brutal et positif comme un sculpteur dans ses compositions les plus délicates ; le Nord souffrant et inquiet se console avec l’imagination et s’il fait de la sculpture, elle sera plus souvent pittoresque que classique.