Narrateur supérieur ou inférieur ?

Régler la question de la focalisation suppose aussi que l’on fasse un autre choix, important : le narrateur sera-t-il un adulte intelligent et perspicace, ou au contraire un personnage déficient ?

Le cas du narrateur omniscient ou presque suppose qu’il soit le personnage le plus intelligent de tous : celui qui dévoile des choses dont les autres actants sont souvent peu ou mal conscients.

A l’inverse le roman américain moderne part souvent d’une approche inverse : l’auteur choisit volontairement de raconter l’histoire par la bouche d’un personnage immature (un enfant), déficient (malade, handicapé), ou carrément idiot. C’est le cas de Mark Twain, Faulkner, Hemingway, Steinberg. Cette technique s’accorde bien à celle de l’anti-héros et à une philosophie existentialiste assez pessimiste. Alors que le héros est un super-homme, plus fort, plus intelligent, plus courageux que le reste des gens, l’anti-héros est son contrepied exact ; il apparaît d’intelligence faible ou limitée, naïf, mal sans peau, peureux, tourmenté, paresseux. Ce n’est pas un battant mais un marginal, pas un dominant mais un dominé, pas une vedette mais un vagabond. En nous plaçant dans sa peau, l’auteur nous déconcerte car il nous oblige à percevoir le monde différemment. Le lecteur en vertu de sa culture en sait constamment plus que le héros, complètement largué, qui nous raconte son histoire sans la comprendre vraiment. Nous sommes alors saisis de compassion pour lui, nous aimerions l’aider, lui signaler les dangers. En tant que lecteur, nous sommes réduits au rôle de spectateur impuissant des drames qui se préparent. De là, nait le sentiment pathétique et absurde de la vie. Donc si c’est le cas, n’hésitez pas à adopter la focalisation au travers d’un personnage déficient. Elle sera excellente pour votre message.

Un autre procédé consiste à voir toute l’histoire focalisée par le méchant. C’est le cas de l’enfance d’un chef, nouvelle de Sartre. L’auteur raconte, de son point de vue, l’adolescence d’un garçon qui va peu à peu devenir fasciste. Bien entendu, Sartre ne fait pas l’apologie du fascisme, au contraire. Mais c’est à nous lecteur de nous distancier par rapport au héros.

D’après Louis Timbal-Duclaux, j’écris mon premier roman