Le but de l’œuvre littéraire

Honoré de BALZAC

Les écrivains qui ont un but, fût-ce un retour aux principes qui se trouvent dans le passé par cela même qu’ils sont éternels doivent toujours déblayer le terrain. Or, quiconque apporte sa pierre dans le domaine des idées, quiconque signale un abus, quiconque marque d’un signe le mauvais pour être retranché, celui-là passe toujours pour être immoral. Le reproche d’immoralité, qui n’a jamais failli à l’écrivain courageux est d’ailleurs le dernier qui reste à faire, quand on n’a plus rien à dire à un poète. Si vous êtes vrai dans la peinture ; si à force de travaux diurnes ou nocturnes, vous parvenez à écrire, la langue la plus difficile du monde, on vous jette alors le mot immoral à la face, Socrate fut immoral, Jésus-Christ fut immoral ; tous  deux furent poursuivis au nom des Sociétés qu’ils renversaient ou réformaient. Quand on veut tuer quelqu’un, on le taxe d’immoralité. Cette manœuvre, familière aux partis, est la honte de tous ceux qui l’emploient. Luther et Calvin savaient bien ce qu’ils faisaient en se servant des intérêts matériels blessés comme d’un bouclier ! Aussi ont-ils vécu toute leur vie.

Georges SAND

Nous n’avons plus affaire à la mort, mais à la vie. Nous ne croyons plus ni au néant de la tombe, ni au salut acheté par un renoncement forcé ; nous voulons que la vie soit bonne, parce que nous voulons qu’elle soit féconde. Il faut que Lazare quitte son fumier, afin que le pauvre ne réjouisse plus de la mort du riche. Il faut que tous soient heureux, afin que le bonheur de quelques-uns ne soit pas criminel et maudit de Dieu. Il faut enfin que la mort ne soit plus ni le châtiment de la prospérité ni la consolation de la détresse. Dieu ne l’a destiné ni à puni, ni à dédommager de la vie : car il a béni la vie, et la tombe ne doit pas être un refuge où il soit permis d’envoyer ceux qu’on ne veut pas rendre heureux.

Certains artistes de notre temps, jetant un regard sérieux sur ce qui les entoure, s’attachent à peindre la douleur, l’abjection de la misère, le fumier de Lazare.  Ceci peut-être  du domaine de l’art et de la philosophie ; mais en peignant la misère si laide, si avilie parfois si vicieuse et si criminelle, leur but est-il atteint, et l’effet en est-il salutaire, comme ils le voudraient ? Nous n’osons pas nous prononcer là-dessus. On peut nous dire qu’en montrant ce gouffre creusé sous le sol fragile de l’opulence, ils effraient le mauvais riche, comme au temps de la danse macabre, on lui montrait sa fosse béante et la mort prête à l’enlacer dans ses bras immondes. Aujourd’hui, on lui montre le bandit crochetant sa porte et l’assassin guettant son sommeil. Nous confessons que nous ne comprenons pas trop comment on le réconciliera avec l’humanité qu’il méprise, comment on le rendra sensible aux douleurs du pauvre qu’il redoute, en lui montrant ce pauvre, sous la forme du forçat évadé et du rôdeur de nuit. L’affreuse mort, grinçant des dents et jouant du violon dans les images d’Holbein et de ses devanciers, n’a pas trouvé moyen, sous cet aspect, de convertir les pervers et de consoler les victimes. Est-ce que notre littérature ne procéderait-elle pas un peu en ceci comme les artistes du moyen âge et de la Renaissance ?

Albert Durer Michel-Ange, Holbein, Callot, Goya, ont fait de puissantes satires de maux de leurs siècles et de leurs pays. Ce sont des œuvres immortelles, des pages historiques d’une valeur incontestable ; nous ne voulons pas dénier aux artistes le droit de sonder les plaies de la société et de les mettre à nu nous nos yeux ; mais n’y a-t-il pas autre chose à faire maintenant que de la peinture d’épouvante ?

Dans cette littérature de mystères d’iniquité, que le talent et l’imagination ont mise à la mode, nous aimons mieux les figures douces et suaves que les scélérats à effet dramatique. Celles-là peuvent nous surprendre et amener les conservations, les autres font peur et la peur ne guérit pas l’égoïsme, elle l’augmente.

Nous croyons que la mission de l’art est une mission de sentiment et d’amour , que le roman d’amour d’aujourd’hui devrait remplacer la parabole et l’apologue des temps naïfs, et que l’artiste a une tâche plus large et plus poétique que celle de proposer quelques mesures de prudence et de conciliation pour atténuer l’effroi qu’inspirent ses peintures. Son but devrait être de faire aimer les objets de sa sollicitude, et au besoin, je ne lui ferais pas un reproche de les embellir un peu. L’art n’est pas une étude de la réalité positive : c’est une vérité idéale et Le Vicaire de Wakefield fut un livre plus utile et plus saint à l’âme que les Liaisons dangereuses.